Au Québec, comme dans beaucoup de pays riches, me croiriez-vous si je vous disais que rien n’est plus subversif que de faire son jardin ou élever quelques animaux? Ça l’est peut-être encore plus au Québec qu’ailleurs. Alors qu’il n’y a rien de plus fondamental que la capacité de produire sa nourriture, le Québec est un peu le rideau de fer d’Amérique du Nord. Pourquoi?
Eh bien c’est en raison de la mainmise de l’Union des Producteurs Agricole (UPA) depuis 40 ans sur notre agriculture. Dans la Belle Province, il y a peu de place pour celui ou celle qui voudrait nourrir sa famille, son village, sa région. Par exemple, aucun Québécois ne peut produire plus de 100 poulets, plus de 25 dindes ou avoir plus de 100 poules pondeuses à moins de détenir un quota de production. S’il souhaite en avoir un, il devra l’acheter par l’entremise d’un des syndicats de l’UPA à un prix plus cher que l’or, mais en ayant en mémoire, qu’à toute fin pratique, il n’y en a plus de disponible. Pendant ce temps, si vous habitez l’Alberta, c’est 2000 poulets, 100 dindes et 300 poules pondeuses que vous pourrez faire sans détenir de quota. C’est ce qui fait dire à plusieurs que notre production agricole québécoise est soumise à un cartel.
« …aucun Québécois ne peut produire plus de 100 poulets, plus de 25 dindes ou avoir plus de 100 poules pondeuses à moins de détenir un quota de production. » Vous avez l’envie d’avoir une vache? Si vous avez du lait en trop, ce qui arrivera à coup sûr, vous ne pourrez en donner à votre voisin ou même échanger un bout de fromage contre un service. Les règles du jeu vous l’interdisent, car le lait n’appartient pas aux agriculteurs, mais au syndicat qui le contrôle. Le lait cru? N’y pensez même pas, l’état ne vous juge pas assez responsable pour décider vous-mêmes. Que les producteurs laitiers et leur famille y aient accès, que 17 états américains le permettent et qu’il soit autorisé dans la plupart des pays du globe ne compte pas. Au Canada, le libre-choix en matière de lait cru n’existe pas.
On continue? S’il vous prenait l’envie de produire pour plus de 5000$ de nourriture, eh bien vous seriez forcé de payer une cotisation syndicale à l’UPA. Si par principe vous refusiez, l’État vous punirait en vous privant de l’accès à la plupart des programmes d’aide qui existent pour les agriculteurs. Vous commencez à voir le rideau de fer?
Dans nombre de productions, vous devrez payer des frais de toute sorte aux différents syndicats de l’UPA même si vous n’en retirez aucun service. Par exemple, un artisan-fromager paiera des milliers de dollars par année au syndicat pour financer le transport du lait…même si le lait ne sort pas de chez lui. De plus, les productions sous mise en marché collective sont déjà taxées par l’UPA de plusieurs millions de dollars.
Ajoutez à cela que l’accès à la terre au Québec est devenu aussi problématique que dans les pays du sud. Le modèle agricole qui sévit au Québec à fait exploser le coût des terres, les rendant inaccessibles, alors que notre agriculture est en mutation. Ne pas avoir accès à la terre revient à la mort de notre agriculture familiale.
« Ne pas avoir accès à la terre revient à la mort de notre agriculture familiale… » Admettons qu’après tous ces murs devant vous, vous n’envisagiez qu’un rôle de consommateur tranquille. Même là, votre horizon sera limité. OGM, antibiotiques, pesticides, herbicides et autres produits chimiques seront bien présents dans votre assiette, sans avis et sans votre consentement. Votre nourriture aura parcouru des dizaines de milliers de kilomètres, de la ferme à l’abattoir américain, de l’usine de transformation ontarienne à votre marchand local. La souveraineté alimentaire du Québec a été lapidée depuis 30 ans et elle est à rebâtir.
Vous me comprenez maintenant lorsque je vous dis qu’il n’y a rien de plus subversif que de faire son jardin ou d’élever des animaux? Devenez des objecteurs de conscience nature. Que ce soit pour protester contre les règles qui sévissent au Québec ou pour contrer le libéralisme économique, c’est la même recette: reprenez votre autonomie alimentaire en main en commençant par la fourchette. Laisser d’autres gérer votre assiette est une forme d’esclavagisme des temps modernes.
Si vous voulez aller plus loin, semez votre nourriture, achetez directement de votre voisin, faites des échanges. Visez local et partez à la découverte de celui qui produit votre alimentation. Contournez les géants de l’alimentation. Réinvestissez vos marchands locaux, divorcez de votre Wal-Mart. Il n’y a rien de plus fondamental que s’alimenter et nous avons sacrifié trop longtemps cette capacité aux vendeurs de modernité. Oui, revenir en arrière est possible et n’a jamais eu si bon goût.
Alors que nous avons fait l’erreur de croire que nous pourrions nous alimenter comme des machines et s’affranchir de la nature, voilà que faire son jardin est le premier pas d’une révolution.
Lettre d’opinion, Benoit Girouard,
président Union paysanne, fin mai 2015