Par: Alexandre B. Couture, étudiant à la maitrise en agroforesterie et stagiaire à l’Union paysanne
Dans l’appréhension des auditions traitant des pesticides à la Commission de l’agriculture, des pêcheries, de l’énergie et des ressources naturelles (Capern), qui se dérouleront du 23 au 26 septembre, une multitude de reportages et d’articles ont tenté de démontrer qu’il existe des alternatives techniques aux pesticides tels qu’utilisés dans l’agriculture conventionnelle au Québec. Un de ces articles s’est toutefois démarqué du lot en creusant le problème plus creux que ces symptômes, en dénonçant plutôt la cause et les mécanismes menant à ces symptômes. L’article en question, paru dans le journal La Presse, est celui de Marie-Claude Lortie1.
Dans cet article on peut y lire que les « besoins en pesticides tout comme les besoins en engrais costauds ne sortent pas de nulle part. Ils sont liés à la façon dont on a organisé, structuré, l’agriculture depuis 60 ans ». La façon dont l’agriculture est organisée et structurée depuis six décennies c’est la monoculture selon la chroniqueuse de La Presse et elle a tout à fait raison. Cependant j’aimerais encore pousser l’analyse plus loin, sans rien enlever à toute la pertinence de ce qu’elle a écrit, puisque la monoculture ne demeure qu’une technique qui s’est parfaitement insérée dans la vision maintenant dominante de l’agriculture du Québec. Cette vision est celle d’une agriculture industrielle productiviste qui s’est imposée (logique agricole qui répond au besoin de croissance incessante du système économique dominant, le capitalisme), lors de la révolution verte2, sur un modèle d’agriculture de subsistance qui fut jadis largement dominant dans la province. Ce tournant industriel de l’agriculture a pratiquement effacé la présence paysanne de la province (ce qui fit disparaître environ 100 000 fermes du territoire québécois), tout comme ce genre de tournant industriel l’avait fait avec les artisanEs dans la foulée de la révolution industrielle.
Ce changement de paradigme est cependant venu avec son lot de problème puisqu’il a fait passer à une étape supérieure la tentative humaine de domination sur l’environnement, ce qui a nécessité, en autres, une utilisation massive de pesticides de tous genres. En fait, on comprenait et on comprend toujours mal les complexes interactions que peuvent jouer les différents membres des écosystèmes ce qui fait que l’utilisation de ces produits phytosanitaires a dans bien des cas détruit les mécanismes d’autorégulation naturels, ce qui a justifié encore plus l’utilisation de ces pesticides. L’agriculture est donc emprisonnée dans un cercle vicieux qui a de potentielles conséquences graves sur notre santé (Parkinson, autisme, cancer, Alzheimer, etc.) et sur notre environnement (perte de biodiversité, dégradation des sols, dégradation de la richesse aqueuse, gaz à effet de serre, etc.).
De terribles conséquences, en lien avec la perturbation des mécanismes de régulation des écosystèmes, avaient pourtant fait leur apparition dès le début de la révolution verte. L’un des exemples ayant eu des conséquences tristement célèbre fut la gestion des « indésirables » par Mao Zedong lors de l’établissement de la politique du Grand Bond en avant (1958 à 1960). En fait, l’une des campagnes de cette politique était la campagne des quatre nuisibles qui visait à se débarrasser en autres du moineau (les trois autres indésirables étaient les rats, les mouches et les moustiques) puisque celui-ci se nourrissait à même les récoltes. Cette campagne d’élimination du moineau fut un succès dans le sens ou la population de cet oiseau fut rapidement en danger de disparition. Cependant, on n’observa pas l’augmentation des rendements agricoles attendue, mais plutôt à une baisse significative de ceux-ci. La raison est simple, bien que les moineaux se nourrissent des récoltes, il agissait également comme un régulateur écosystémique puisqu’il se nourrit également d’insecte. Lorsque l’oiseau fut pratiquement exterminé les insectes, en particulier les criquets, ont eu le champ libre pour faire des ravages bien plus important aux récoltes, ce qui participa, sans en être la seule cause loin de là, à la grande famine chinoise qui a fait de 15 à 45 millions de morts entre 1959 et 1961.
La mauvaise gestion écosystémique chinoise de cette époque aurait dû être un signal d’alarme démontrant qu’il est extrêmement dangereux d’aller à contre-courant des mécanismes de régulation naturels. C’est pourtant ce que continue de faire, près de 60 ans plus tard, l’agriculture industrielle avec sa méthode culturale privilégiée : la monoculture. L’utilisation de pesticides ne disparaîtra pas tant que la vision de domination de la nature demeurera puisque la neutralisation d’une espèce jugée indésirable ne fera qu’en sorte qu’une autre espèce plus résistante profitera du festin monoculturel.
L’objectif ici n’est pas de glorifier l’ère où l’Église catholique a forgé le paysage québécois en mettant de l’avant un certain mode de vie paysan capable d’ouvrir les portes du paradis, mais de constater que les paysanneries de jadis et d’aujourd’hui ont leur lot d’avantages, dont des pratiques culturales ne nécessitant pas tout l’arsenal phytosanitaire de l’agriculture dite « conventionnelle ». La recherche de productivité en agriculture a poussé notre agriculture a dépasser les limites écologiques et à instaurer un modèle faisant fi des processus de régulation naturels. Il serait alors sage de retrouver un équilibre avec notre environnement en faisant place à une régulation plus naturelle des espèces qui ne passe pas nécessairement par la destruction de ce qui est jugé indésirable à première vue, mais plutôt par un modèle favorisant cette régulation quitte à avoir un rendement plus faible que dans le modèle industriel. Il n’est d’ailleurs pas clair que les rendements du modèle conventionnel pourront demeurer élevée pour une longue période puisque les conséquences environnementales qui y sont rattachées (particulièrement l’érosion et la perte de fertilité des sols) mettent directement en péril son efficacité et celle de toutes autres méthodes culturales dépasser un certain seuil critique.
Une agroécologie paysanne, dans cette perspective, semble non seulement une solution pour éviter l’utilisation de pesticides, mais également une méthode culturale plus soutenable à long terme. Il faut alors espérer que la Capern le comprenne lors des auditions de fin septembre, malgré le fait que tout indique que nous aurons le droit à une analyse de surface du problème des pesticides qui ne s’attaquera au mieux qu’aux symptômes de notre modèle agricole industriel et non aux causes fondamentales des problèmes qu’il crée.
1 LORTIE, Marie-Claude, « Agriculture : soigner les causes, pas justes les symptômes », La Presse, 4 septembre 2019, https://www.lapresse.ca/actualites/201909/03/01-5239705-agriculture-soigner-les-causes-pas-juste-les-symptomes.php?fbclid=IwAR1wFqn0b1VQ_-tACRA1xzro97zDaIcxLPx9ZsxscR2WIZ_lCxjOHJzqo9Q.
2 Révolution dans les pratiques agricoles qui commença dans les années 1960, qui augmenta significativement les rendements agricoles par, entre autres, l’utilisation des progrès techniques dans le domaine de la chimie et l’industrialisation des procédés agricoles.