Le 8 octobre dernier, le président de l’Union des producteurs agricoles, Marcel Groleau, se commettait dans une lettre d’opinion sur la limite d’adaptabilité des fermes du Québec. Si l’ensemble du texte fait du sens, il sonne également faux pour quiconque a observé la scène agricole québécoise des quinze-vingt dernières années. Pourquoi?
Il y a encore peu de temps, l’UPA, en commission parlementaire, vantait les fameux codes de pratiques d’élevage de l’industrie qui, en plus d’être du faux bien-être animal, font justement peser sur les agriculteurs des charges démesurées. C’est encore l’UPA qui a agi comme facilitateur pour faire entrer les fameux intégrateurs porcins sous la protection des assurances agricoles (ASRA) ce qui, en plus de vampiriser le budget de l’agriculture, a relégué les agriculteurs de famille au deuxième rang.
C’est elle qui, avec le gouvernement de Lucien Bouchard, a voulu partir à la conquête des marchés en doublant le nombre de porcs produits au Québec. Le résultat fût de faire disparaître les agriculteurs indépendants de ce secteur et de forcer le gouvernement à imposer un moratoire sur les surfaces cultivées afin de contrôler les impacts écologiques de cette production sur lisier. Ce sont tous les agriculteurs qui ont écopé au passage.
C’est encore l’UPA qui négocie en ce moment avec TransCanada pour des redevances aux agriculteurs sur le passage du pipeline bradant notre territoire agricole et offrant une caution aux entreprises pétrolières.
Comment serait-il possible de croire aujourd’hui Marcel Groleau lorsqu’il dit se préoccuper des producteurs agricoles alors que les agissements de son syndicat se retrouvent au coeur du problème?
L’agriculture québécoise a besoin d’un retour aux sources et de prendre ses distances envers les diktats de l’industrie. Il n’y a pas de souveraineté alimentaire sans des agriculteurs souverains. Voilà ce qui a été perdu sur nos fermes au cours des 30 dernières années: une réelle capacité de décider. Les agriculteurs, les personnes les plus proches de la terre, ont perdu leur capacité à s’autodéterminer face aux géants de l’agroalimentaire. On les a poussé à s’affronter à l’échelle du globe pour des bas prix qui enrichissent une poignée. Les fameux cahiers de charge, codes de procédure et traités de libre-échange servent d’abord l’industrie et non les agriculteurs.
Qui croit vraiment que dans 15 ans il y aura plus de producteurs de porc et de boeuf au Canada grâce au PTP? Non! Ils seront moins et produiront plus. C’est la leçon que nous pouvons tirer de l’ALENA. Le libre-échange dans sa formule actuelle et l’agriculture sont incompatibles. L’équation est toujours la même: moins d’agriculteurs, mais plus de profits pour les géants de l’agroalimentaire.
Au change, le Québec y sacrifie le rôle réel de l’agriculture qui est d’abord de nourrir sa population en quantité et en qualité pour une balance commerciale positive. Alors oui, il y a une limite à l’adaptabilité des fermes, comme il y a une limite aux faux-semblants. Si l’UPA veut réellement rompre avec ce modèle et se remettre à l’écoute des agriculteurs, l’Union paysanne sera heureuse de travailler avec elle à la mise en place d’une réelle souveraineté alimentaire au Québec.
Benoit Girouard, président Union paysanne