Depuis plusieurs mois, de fréquentes sorties médiatiques sur la question des pesticides ont permis de refléter une préoccupation manifeste quant à leur utilisation parmi la population québécoise. Inquiète des répercussions dommageables pour sa santé et son environnement, cette dernière semble espérer des autorités compétentes une révision de l’utilisation massive de ces intrants chimiques. Et la communauté scientifique — lorsqu’elle n’est pas à l’emploi des multinationales qui commercialisent ces produits — démontre que ces inquiétudes ont effectivement raison d’être.
Pour l’Union paysanne, la question des pesticides ne peut être traitée sans être au minimum contextualisée. Nous soutenons que l’utilisation massive des pesticides ne découle aucunement des agriculteurs-trices, mais que cette responsabilité doit plutôt être impartie à l’actuel système agro-alimentaire qui fait du productivisme son modus operandi. Ce modèle de production, que nous désignerons sous l’appellation d’agriculture industrielle, suggère que l’amélioration des rendements à l’hectare est nécessaire afin d’atteindre une soi-disant « sécurité alimentaire ». Ce faisant, réfléchir la question des pesticides ne peut s’effectuer sans revisiter les fondements du système industriel de production, qui pourrait s’avérer de maintes façons hautement inefficace.
« Il n’y a pas d’agriculture industrielle au Québec », soutient l’UPA
Et pourtant. De manière générale, l’industrialisation s’effectue lorsqu’il y a une chaîne de production et lorsque les techniques permettent une augmentation de la productivité afin d’augmenter la rentabilité économique. Et force est de constater que ce processus s’est intégré à la réalité d’une grande partie des fermes québécoises.
De fait, notre système agro-alimentaire s’apparente désormais à l’usine, où les postes de production sont compartimentés et le travail hautement divisé. À l’instar du forgeron fournissant sa communauté en outils, l’agriculteur approvisionnant son entourage en aliments tend à disparaître. Lorsqu’il existe, c’est avec un ton bucolique que nous le dénommons. « Mon fermier de famille ». De fait, ce lien presque direct qui existait jadis entre la production agricole et la consommation de nourriture n’est que le vestige d’un système agro-alimentaire actualisé aux réalités d’une économie capitaliste de marché. Aujourd’hui, l’aliment est un bien marchand qu’on retrouve principalement à l’épicerie — de surcroît, possédée par les grandes bannières –, elle-même approvisionnée par les grossistes qui comblent leurs palettes d’une nourriture originaire des quatre coins du monde et de transformateurs alimentaires ayant opéré sous la même logique. Pour répondre à la demande de ces corporations, qui exigent des semi-remorques entières de fruits et légumes (sans quoi la marge de profit est trop mince), les agriculteurs doivent réaliser des économies d’échelle de façon à pouvoir leur offrir un prix compétitif. Pour survivre et continuer à vivre de sa profession, souvent transmise depuis plusieurs générations, l’agriculteur est contraint d’adapter son système de production aux réquisitions des demandeurs et de produire en quantité immense, le contraignant à limiter sa production à une seule plante, à un seul animal, à la monoculture. Car croit-on, cultiver une plante ou une espèce animale unique permet de limiter le nombre de variables à contrôler et donc d’intensifier la production, d’augmenter les rendements.
L’emploi de pesticides découle directement de cette logique : c’est le modèle industriel de production qui le demande, par nécessité d’optimisation. Cette recherche d’une productivité accrue témoigne justement de l’existence bien réelle d’une agriculture industrielle au Québec, quoi qu’en dise l’UPA! Dans un système en monoculture, le très faible niveau de biodiversité ne permet pas au champ d’être résilient par lui-même, comme pourrait l’être une forêt ou un marécage, par exemple. Or, si une adventice ou un insecte ravageur s’introduit dans ce système, le problème doit être réglé par une intervention externe. Et c’est là où le mode de production capitaliste en est venu à développer et à commercialiser les pesticides : pour combler une lacune occasionnée par le mode de production qu’il a préconisé depuis la Révolution verte, à savoir cette période de forte augmentation de la production agricole à l’échelle globale dans les années 1960 causée par l’industrialisation des pratiques. En ce sens, les pesticides n’existent pas pour augmenter les volumes de production, mais bien pour palier à un problème et limiter les pertes inhérentes à un système de production qui a subjugué des fonctions écosystémiques primordiales à l’intervention anthropique, qui a élevé l’humain au-dessus de la nature.
Pour l’Union paysanne, éliminer les pesticides de nos pratiques est une avenue souhaitable si cette revendication s’inscrit dans une perspective de renversement complet du modèle industriel de production agricole. Une agriculture dite « biologique » — où les pesticides sont proscrits, mais où les monocultures et l’exploitation indue des travailleurs demeurent, où la production agricole reste globalisée et transportée par les énergies carbonées, où l’accessibilité des aliments marchandisés est fonction du pouvoir d’achat — ne fait que perpétuer les problèmes qu’il faudra éventuellement résoudre. De fait, nous soutenons que les innombrables enjeux de l’agriculture industrielle et des pesticides, de même que la recherche d’une durabilité véritable de ce système ne peuvent être réglées que par la souveraineté alimentaire et que celle-ci doit être portée par l’agroécologie paysanne.
« En ce sens, les pesticides n’existent pas pour augmenter les volumes de production, mais bien pour palier à un problème et limiter les pertes inhérentes à un système de production qui a subjugué des fonctions écosystémiques primordiales à l’intervention anthropique, qui a élevé l’humain au-dessus de la nature. »
L’alternative, c’est la souveraineté alimentaire!
L’industrialisation de l’agriculture a rompu le lien direct qui unissait auparavant le producteur et le consommateur. Soit. En conséquence, l’épicerie (devenue supermarché à travers le phénomène de corporatisation) est dorénavant le plus proche lien que nous entretenons avec l’agriculture. Il est effectivement difficile de pleinement saisir comment les immenses champs de soja et de maïs qui longent nos autoroutes contribuent à nourrir nos familles. Devant des étagères comblées par des produits du Mexique, de l’Espagne ou du Japon, nous en sommes venus à oublier que le territoire québécois regorge d’un potentiel nourricier incroyable, capable d’alimenter d’une nourriture locale, riche et responsable l’ensemble de sa population.
Malgré cela, en date de 2017, au Québec, c’est l’équivalent en superficie de 225 000 hectares de soja que nous exportions vers les marchés étatsuniens et asiatiques. Or, 80 % de nos superficies où se cultive l’oléagineux « quittent » notre territoire pour alimenter les flux du commerce international, nous privant ainsi d’un vaste espace où pourraient être cultivés des aliments distribués localement. La logique industrielle — dont la chaîne de production est indiscutablement mondiale — fait prévaloir l’intérêt de celles qui opèrent le système, à savoir les corporations multinationales, au nom de la sacro-sainte liberté économique. Faut-il mentionner qu’une quantité faramineuse de pesticides est employée sur ces champs.
Or, la question des pesticides doit passer par une réappropriation de notre territoire agricole, par la construction d’un système agro-alimentaire basé sur la souveraineté alimentaire. La posture à adopter est combative, puisque la lutte qui doit s’engager nous oppose aux intérêts des gros joueurs de l’actuel système agro-alimentaire, bénéficiant trop souvent de la connivence gouvernementale. Le rapport de force doit être créé collectivement, paysannes et paysans uniEs aux citoyennes et citoyens, afin de réparer ce lien rompu entre la production et la consommation.
Gabriel Leblanc
Coordonnateur du comité international
UNION PAYSANNE
Paysan à La Ferme de la Dérive