Par Gabriel Leblanc
Paysan-maraîcher
Administrateur à l’Union paysanne
Une fois de plus, les regards médiatiques sont braqués sur l’agriculture québécoise et plus précisément sur un projet de loi présenté à l’Assemblée nationale par la Ministre déléguée à l’Économie : le PL103, un document éparpillé, imposant, qui suggère la modification de plusieurs lois, dont la Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles. Ce chapitre précis du PL103 ébauche la possibilité de faciliter le morcellement des terres, en ouvrant finalement la porte à la reconnaissance d’une « diversité de modèles nécessitant des superficies variées ». Il poursuit l’objectif de faciliter l’accès à des terres agricoles, ce qui favorisait le développement de la petite agriculture. Jusqu’à là, on pourrait croire à la bonne nouvelle. Pourtant, devant cette initiative apparemment bienveillante, des voix discordantes se soulèvent. Mais qui voudrait bien freiner l’essor de l’agriculture à échelle humaine, basée sur des pratiques agroécologiques, que permettrait le morcellement des terres agricoles?
Car effectivement, l’autonomie alimentaire, concept propulsé à ses sommets depuis la pandémie, s’annonce désormais comme dessein collectivement partagé. Se posant à l’intersection des luttes écologiques et de la sauvegarde de notre agriculture, l’intérêt pour la ferme diversifiée et nourricière s’affirme vigoureusement. Ce désir populaire rencontre néanmoins une forte opposition, incarnée sans surprise par le monopole syndical de l’UPA. Et c’est là où la véritable polémique se dévoile.
Vous avez bien lu : l’UPA, seule organisation légalement autorisée à représenter l’ensemble des agriculteurs et agricultrices du Québec, se disant fièrement à la défense de tous les modèles agricoles, est cette voix de contestation. Concrètement, elle exprime un scepticisme face au PL103, faisant notamment la recommandation d’abandonner l’amendement à la Loi qui vise à reconnaître la « diversité de modèles nécessitant des superficies variées »! Une fois de plus, elle s’érige en véritable barrière aux aspirations paysannes qui, depuis des années, militent tant bien que mal pour l’accès aux terres agricoles.
Mais faut-il vraiment s’en étonner?
Après tout, l’UPA, c’est aussi cette organisation qui s’était mobilisée contre l’augmentation des productions hors quota, une démarche entreprise par l’Union paysanne il y a quelques années pour favoriser la prospérité de la petite agriculture. La décision alors rendue par la Régie, en 2019, avait finalement refusé à la paysannerie l’accès à des productions d’œufs et de coqs à chair rentables. Une décision de laquelle s’était flattée l’UPA, fière d’avoir laissé le terrain sans entrave au déploiement soutenu du modèle industriel de production agricole.
Et à ce propos, l’UPA pave effectivement la voie au développement de l’agriculture industrielle et ce, depuis les années 1970. Le syndicat s’est fait maître de la spécialisation fermière, comme en témoigne la création de ses fédérations spécialisées, et complice des politiques austères et corporatistes visant à dépeupler les campagnes québécoises.
Et il l’a fait d’une façon si habile que la ferme autosuffisante, axée sur une distribution communautaire, anciennement prédominante, représente désormais l’aberration! De fait, entre les années 1950 et aujourd’hui, ce sont 100 000 fermes qui ont cessé d’exister (alors qu’on en comptait jadis 130 000, on en dénombre aujourd’hui un peu moins de 30 000). Pourtant, la production globale est demeurée croissante, tout comme la démographie québécoise. Concrètement, c’est que les fermes s’étant maintenues compétitives ont atteint des superficies surdimensionnées, en capitalisant sur les terres laissées à l’abandon, et qu’elles ont délaissé la production diversifiée au dépend des monocultures et des élevages intensifs (justement permises par l’accès à des superficies plus grandes!).
L’UPA, complaisante vis-à-vis les « opportunités d’affaires » qu’offre la néolibéralisation du commerce à l’échelle internationale, a joué un rôle de premier plan dans cette dévitalisation des régions et ce développement exacerbé d’une agriculture industrielle destructrice de l’environnement. Elle s’est posée en gardienne d’un modèle agricole dépassé et forme aujourd’hui la pierre angulaire de la résistance à l’émancipation de l’agriculture paysanne. Son opposition au PL103 est la poursuite de son œuvre. La logique de l’Histoire demeure intacte.
Une agriculture à révolutionner
Mais sur le fond de la chose… pourquoi voudrait-on morceler des terres agricoles? En fait, les entreprises fermières atteignent aujourd’hui des proportions superficielles exagérées, si bien que leur transmission à la relève est compromise pour des raisons financières. Vendues à prix prohibitifs, ces terres ne sont dorénavant accessibles qu’aux spéculateurs fonciers et aux entreprises fortunées. En d’autres mots, l’agriculture est compromise, laissée aux rouages d’un capitalisme monopolisant duquel l’UPA se prévaut. Et la menace d’une diminution continue du nombre de fermes pèse encore, exacerbant en contrepartie ces enjeux liés à l’accès aux terres agricoles.
Parallèlement, acquérir une terre est extrêmement difficile : elles sont trop grosses, impossibles à morceler, inachetables. Mais dans la joute qui sévit, l’UPA brandit l’argument que le morcellement des terres pourrait favoriser la spéculation foncière et la hausse de la valeur des terres agricoles. N’est-ce pas déjà ce qu’il se passe?
L’intérêt grandissant pour les petites fermes, la distribution locale et les souverainetés alimentaires entrent en confrontation directe avec le conservatisme avéré de l’UPA. Regardant de haut les modèles alternatifs qui naissent, elle les perçoit à la fois comme naïfs et menaçants. Dans son communiqué sur le PL103, elle déclare d’ailleurs que « le morcellement n’est pas nécessairement à proscrire en tout temps, mais [que] les changements envisagés ne doivent pas favoriser […] une ouverture à des projets agricoles non viables ». Comme s’il était dans l’intérêt de quiconque de promouvoir la non viabilité des projets agricoles! De fait, il s’agit d’une manière à peine voilée de s’attaquer à la volonté criante des « petits », à ce nécessaire changement qu’ils exigent… une expertise que le monopole syndical développe depuis maintenant 50 ans.
De plus, le modèle agricole qu’on nous lègue est rebuté par la nouvelle génération paysanne qui aspire en vérité aux fermes agroécologiques, à petite échelle, basée sur la distribution locale. Plus que jamais, le modèle dominant est appelé à changer, justement parce que le monde change. La mentalité de l’UPA est quant à elle demeurée figée dans les années 1970. Et puisqu’elle est la seule organisation syndicale agricole légalement autorisée à monopoliser le discours en agriculture, elle s’attache comme boulet imposant à la cheville de la société et de sa volonté de voir naître un modèle différent.
La fin du monopole syndical doit être exigée maintenant
Paysan-maraîcher à la ferme de la Dérive (au Bic), administrateur à l’Union paysanne, je fais partie de cette paysannerie qui aspire à concrétiser le souhait collectivement partagé d’émancipation d’une agriculture plurielle, nourricière et agroécologique. Les agriculteurs et agricultrices progressistes existent, mais réfléchissent en dehors du cadre contraignant de l’UPA (évidemment!). Plus que jamais, exiger la fin du monopole syndical me semble impératif, voire obligatoire pour pouvoir poursuivre les ambitions paysannes et citoyennes connues. L’UPA ne nous représente pas et ne le fera jamais. Si le PL103 et le morcellement des terres semblent nécessaires, ils appellent en filigrane à cette revendication essentielle : réclamer le morcellement du syndicalisme agricole au Québec!
Sources
Communiqué de l’UPA : https://www.upa.qc.ca/fr/communiques/2021/10/projet-de-loi-103-un-accueil-positif-mais-prudent/
Mémoire de l’UPA : https://www.upa.qc.ca/fr/publications/2021/11/memoire-consultations-sur-le-projet-de-loi-n-103-loi-modifiant-diverses-dispositions-legislatives-principalement-aux-fins-dallegement-du-fardeau-administratif/