Du creux de mon rang perdu, aux confins du Québec profond, je remarque dans le voisinage un regain du jardin potager. Une petite parcelle de patates ici alors que la pelouse régnait, là un petit verger au lieu du stationnement de machinerie, un champ de légumes en plein cœur du royaume de la vache laitière, etc. Et ce qui se passe à la campagne de façon discrète a en ville un nom : l’agriculture urbaine. Le plus étrange et symptomatique, à mon avis, c’est qu’on parle ici d’un phénomène alors qu’il s’agit du besoin le plus fondamental qui soit : la recherche de nourriture fiable. Notre société se serait-elle éloignée à ce point de l’agriculture pour qu’on parle aujourd’hui d’un événement médiatique lorsque quelqu’un plante ses légumes sur le devant de son terrain en ville ou sur son toit?
Lors du bilan récent de la politique bioalimentaire, différents résultats statistiques ont été présentés, en particulier en ce qui concerne la confiance du consommateur (ou mangeur!) envers son alimentation. Les participants à la conférence aimeraient que les consommateurs soient mieux informés sur notre agriculture. Or, en regardant le taux de confiance, on remarque immédiatement que plus le consommateur est éduqué ou scolarisé, moins il a confiance. Et moins il a confiance, plus il veut reprendre le contrôle de son alimentation. Le consommateur informé ne se laissera pas berner par la publicité mensongère de l’industrie de l’alimentation, qui persiste à présenter des images de poules au champ sur les boîtes d’œufs, ou des vaches au paturage sur les cartons de lait, ou des chaudières d’eau d’érable sur les cannes de sirop. Le consommateur éclairé sait pertinemment que les animaux sont aujourd’hui confinés à l’intérieur des bâtiments et que le sirop est récolté avec de la tubulure.
Pour l’instant, l’agriculture urbaine touche essentiellement les légumes et les fruits. Mais le jour viendra où ces gens voudront aussi produire leurs œufs ou leur viande. Comme ça se fait partout ailleurs sur la planète. Nous aurons besoin de tous ces gens éclairés pour faire contrepoids au contrôle de l’industrie agroalimentaire québécoise qui veut nous faire croire qu’un bon poulet doit être élevé dans un immense bâtiment fermé.
La menace de la peste porcine africaine fait actuellement trembler toute l’industrie. Au Québec, sauf exception, la totalité de l’élevage du porc se fait en grande concentration, surtout pour être exporté. L’intense circulation d’animaux, mais aussi de la moulée, du fumier et des travailleurs fait en sorte que toutes les conditions sont réunies pour qu’une épidémie se propage rapidement. La récente acquisition de l’intégrateur Ménard par Olymel ne fait qu’accroître cette concentration de la production. Cette peste porcine est très contagieuse. Le danger est donc accru si les animaux vivent en promiscuité. Il est logique de croire que des élevages de faible densité seraient mieux protégés. Mais pour l’industrie du porc, il importe de concentrer davantage les élevages et recommande à tous ses membres de ne surtout pas vendre des porcs à de petits éleveurs, prétextant que ce sont eux les vecteurs.
Imaginons un instant qu’un citadin élève un cochon sur son terrain. Imaginons la battage médiatique, imaginons la réaction de l’industrie du porc. Et pourquoi devrions-nous plus être affolés ainsi que par la présence d’un chien ou d’une grosse voiture?
Espérons que l’agriculture urbaine deviendra plus qu’un phénomène médiatique et nous aidera à contribuer au changement.