Mon agriculture locale est moins locale que la tienne
Nous partageons avec vous ce merveilleux texte écrit par Gabriel Leblanc, paysan à la ferme La Dérive et président de l'Union paysanne. Une réflexion indispensable sur nos dépendances en agriculture!
Depuis quelques années, je constate un engouement exponentiel envers l'agriculture de proximité. Chaque été, lorsque s'amorce la tenue des kiosques à la Dérive, je fais la rencontre de nouvelles personnes bien informées qui comprennent tout à fait l'intérêt écologique de l'approvisionnement local. (...)
À en entendre parler de la manière dont c'est fait, on peut croire que l'agriculture à échelle humaine est une panacée immaculée et d'une pureté écologique que seule Gaïa accote. C'est une sortie de crise, c'est l'avenir vert, c'est la « Transition ». J'aimerais néanmoins protester contre cette posture fallacieuse. Quand j'entends JMF vanter les mérites de son agriculture, j'ai l'impression qu'il m'en manque un solide boute. Je comprends que le légume cueilli dans sa cour est nécessairement local et que ses transactions avec la clientèle le sont aussi. C'est de même chez moi itou. Sauf que la récolte et la vente, c'est à peine 15-20 % de l'activité maraîchère (peut-être moins?). C'est l'extrémité visible. Qu'en est-il du reste? (...) ce discours auréolé et public sur l'agriculture à échelle humaine me semble hypocrite, voire invisibilisant et contre-productif. À croire qu'il s'agit d'une stratégie marketing pour mousser les ventes. Or, je crois qu'il est nécessaire de s'avouer nos limites, d'admettre nos imperfections. Et ensuite seulement se construiront des solutions véritables. (...) L'agriculture locale est une solution, ne disons pas le contraire. Mais dans son état actuel, elle demeure complice de l'exacerbation d'enjeux environnementaux et sa localité est au plus relative. L'agriculture locale est dépendante du système mondialisé de production agro-industrielle dans toutes les phases préliminaires de sa production. (...) Le discours populaire de l'agriculture locale, c'est du greenwashing. Un outil marketing. Et c'est contre ça qu'il faut protester. Quand ces géants tomberont après quelques crises économiques et climatiques, on va se les procurer où, nos semences d'agriculture locale? Quand le pic pétrolier sera atteint et que le plastique sera rangé au musée des antiquités, je les ferai pousser comment, mes aubergines?
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