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S’engager…et savoir quitter.

Benoit GirouardIl y a dans la vie de toute personne des moments où l’on voit un chemin s’imposer, non pas avec force, mais avec douceur. Comme une invitation à prendre le large et à visiter de nouveaux horizons. C’est ce qui m’est arrivé depuis quelques temps. Après 16 ans d’implication à l’Union paysanne, dont 10 ans à titre de président, je vous annonce que je ne solliciterai pas de nouveau mandat au congrès de novembre prochain.

Voilà 16 ans, j’ai mis beaucoup de choses de côté afin de me consacrer à défendre un modèle agricole et alimentaire plus juste et plus respectueux des écosystèmes et des populations. En 2001, à la naissance de l’Union paysanne, je n’aurais pu imaginer en être un jour le président et encore moins aussi longtemps. J’avais 25 ans, j’étais vert et la stature des cofondateurs Maxime et Roméo forçait le respect.

Je venais de recevoir un prix de mon UPA régional pour mon bilan environnementale d’une ferme que je gérais tout en découvrant les travers du syndicalisme agricole traditionnel.  J’avais prévu démarrer ma ferme, après en avoir géré deux, mais le cul de sac agricole québécois m’est apparu dans toute sa fermeture. La ferme que je souhaitais mettre sur pied (hors-quota, lait cru, abattage à la ferme, etc.) était illégal au Québec. Et dire que je n’étais même pas réellement libre de m’associer à l’organisation de mon choix.

L’Union paysanne naissait et j’y ai retrouvé d’autres apatrides qui comme moi ne se reconnaissaient pas dans le modèle agricole dominant. Je n’y allais pas pour faire carrière, j’y allais car j’étais révolté. Le reste a été une suite de oui à s’impliquer; un oui à agir, un oui à se salir les mains, un oui quotidien. J’espère avoir apporté à l’Union paysanne autant qu’elle m’a redonné, mais j’en doute. Elle a été pour moi une école de formation et de vie et j’en partirai meilleur.

Il est de bon ton de se demander si on a changé quelque chose par notre passage. Je laisserai à d’autres le soin d’en juger, particulièrement à mes détracteurs. Ce que je sais par contre c’est reconnaître la semence qui lève. Depuis 16 ans, je ne compte plus le nombre de jeunes agriculteurs (trices) qui de près ou de loin se réclament du courant de l’Union paysanne, en plus des rapports qui ont repris nos analyses et qui ont bouleversé le statu quo. Nos mémoires et nos travaux sont cités et repris.

L’Union paysanne, c’est beaucoup plus qu’un mouvement qui, bon an mal an, réussi à survivre au centre d’un système agricole hermétique. L’Union paysanne, c’est une vision de l’agriculture et de l’agroalimentaire. Une vision qui se retrouve désormais dans une relève agricole moins traditionnelle, dans l’agriculture urbaine, dans les productions locales et à valeur ajoutée, dans l’essor d’un bio décomplexé, dans la plupart des centres d’enseignements et même chez de plus en plus d’agronomes. Les paysans sont en marche et il faudrait être aveugle pour ne pas le voir.

La paysannerie, ce n’est pas un syndicat! C’est une vision de l’agriculture et du rapport que chacun entretien avec la terre. C’est aussi d’assumer de devenir un gestionnaire avisé d’un agroécosystème et d’en être une sentinelle. C’est en fait un changement de paradigme face à l’agriculture industrielle des 50 dernières années. C’est un retour aux sources. Si la paysannerie s’incarne dans l’Union paysanne, même si elle essaime partout, c’est parce qu’elle a su mettre de l’avant l’idée d’une agriculture réellement équitable et porteuse de souveraineté alimentaire.

J’ai donc tenté au sein de cette organisation de reproduire, à une autre échelle, le travail noble de l’agriculteur : semer. Pour ma part, j’y ai récolté des amitiés durables. Ils sont nombreux les visages qui me viennent en tête depuis la fondation et qui en plus de m’épauler, m’ont fait confiance. Je ne pourrais les nommer tous sans en oublier, mais je ne pourrais partir sans souligner l’amitié indéfectible de Maxime Laplante, co-fondateur de l’Union paysanne. Il a tout partagé avec moi du combat, ses hauts et ses bas. Il s’est abreuvé du même fiel et du même miel. Un compagnon et à la fois un guide sur la route. C’est d’ailleurs à lui que je dois le texte de Goethe qui a guidé mon implication et que je vous partage plus bas.

Sachez que je quitte mes fonctions officielles, mais que je continuerai quelques mandats déjà engagés comme le dossier du hors-quota, ainsi que le recours collectif sur la liaison des programmes de l’état et de la cotisation à l’UPA. Je soutiendrai la transition avec le nouveau conseil de coordination que l’Union paysanne aura à la fin de l’AGA de novembre. Je continuerai à jamais de porter les luttes paysannes du Québec en moi, mais je le ferai différemment. Le changement n’attend que vous, mais pour y arriver il vous faut….l’engagement.

 

Benoit Girouard, président Union paysanne

 

L’engagement

« Tant qu’on ne s’est pas engagé, persistent l’hésitation, la possibilité de se retirer, et toujours aussi, dès qu’il s’agit d’initiative ou de création, une certaine inefficacité.

Il y a une vérité élémentaire dont l’ignorance a déjà miné nombre de grandes idées et de plans merveilleux: c’est que dès l’instant où l’on s’engage, la Providence intervient, elle aussi. Il se produit toutes sortes de choses qui autrement ne se seraient pas produites. Toute une série d’événements jaillissent de la décision, comme pour l’appuyer par toutes sortes d’incidents imprévus, de rencontres et de secours matériel, dont on n’aurait jamais rêvé qu’ils puissent survenir.

Quoi que vous puissiez faire, quoi que vous rêviez de faire, entreprenez-le.

L’audace donne du génie, de la puissance, de la magie.

Mais commencez maintenant. » (Goëthe)

 

Benoit Girouard

Apiculteur et paysan en jachère. Après avoir tenté de lancer mon premier projet de ferme, j‘ai constaté qu’il y avait tellement de murs autour du métier que j‘ai pris la décision de travailler à changer les choses. L’Union paysanne naissait... j’ai joint le mouvement.