Nous sommes encore loin de connaître les conséquences de la pandémie sur l’agriculture du Québec. Différents secteurs risquent d’être touchés plus que d’autres. La production maraîchère est devenue largement dépendante de l’arrivée de travailleurs étrangers, du Mexique, du Guatemala ou d’ailleurs. L’industrie porcine prévoit également subir des pertes, alors qu’elle dépend à 70% de l’exportation. La propagation rapide du virus chez les humains à travers la planète illustre à quelle vitesse une maladie peut se propager, en raison de la circulation des personnes par toutes sortes de moyens. Une éventuelle fermeture des frontières peut également fortement ébranler notre système d’approvisionnement alimentaire, dépendant pour une large part des importations.
L’industrie agricole, déjà largement tributaire des programmes de subventions comme l’ASRA, se prépare à quémander encore plus de la part du contribuable pour contrer les difficultés financières des fermes. Est-ce que l’injection d’encore plus d’argent dans un système déjà coûteux va vraiment être la solution? Au contraire, l’Union paysanne estime que la situation entourant le coronavirus doit nous forcer à revoir notre modèle agricole le plus rapidement possible.
La propagation des maladies
Le coronavirus a rapidement envahi la planète. Les mesures recommandées prévoient essentiellement deux choses : la distanciation des humains et l’interdiction de circuler d’un endroit à l’autre. Dans le cas de la production animale, il n’en va pas autrement. Le système d’élevage industriel du Québec se pose en contradiction flagrante avec ces principes élémentaires de précaution. Les deux facteurs de risque d’apparition et de propagation des maladies sont la grande concentration des animaux et de la volaille, ainsi que la circulation d’une ferme à l’autre des ouvriers, de la moulée, du fumier, des animaux eux-mêmes, etc. Dans ce contexte, il n’est pas surprenant que les gigantesques élevages concentrés de porc (2400 porcs par ferme en moyenne) ou de volaille (34 500 poules par ferme en moyenne) doivent être très vigilants concernant les règles sanitaires. Mais ce n’est pas suffisant et ce ne le sera jamais. Les élevages de volaille au Québec prévoient environ un pied carré par volatile, parfois moins. Difficile d’éviter la propagation d’une maladie dans ces conditions. Et utiliser des antibiotiques de façon préventive et massive créera d’autres problèmes, comme la résistance aux antibiotiques chez humains et animaux. Le mode d’élevage qui s’est établi pour le porc et la volaille s’étend également aux élevages de bovins ou de vaches laitières, où des troupeaux de plus en plus denses s’installent et se concentrent dans des territoires de plus en plus réduits.
Selon l’organisation mondiale de la santé :
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La résistance aux antibiotiques constitue aujourd’hui l’une des plus graves menaces pesant sur la santé mondiale, la sécurité alimentaire et le développement.
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Elle peut toucher toute personne, à n’importe quel âge et dans n’importe quel pays.
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La résistance aux antibiotiques est un phénomène naturel mais le mauvais usage de ces médicaments chez l’homme et l’animal accélère le processus.
– Communiqué de presse du 7 novembre 2017
L’Organisation mondiale de la Santé (OMS) recommande que les éleveurs et l’industrie alimentaire cessent d’utiliser systématiquement des antibiotiques pour promouvoir la croissance et prévenir les maladies chez des animaux sains.
Les nouvelles recommandations de l’Organisation visent à préserver l’efficacité des antibiotiques importants pour la médecine humaine en réduisant leur utilisation inutile chez l’animal. Dans certains pays, (dont le Canada, selon Radio-Canada) approximativement 80% des antibiotiques importants pour la médecine humaine sont consommés dans le secteur animal, et, en grande partie, pour favoriser la croissance chez des animaux sains.
« Mes collègues ont découvert que lorsqu’on était en contact direct avec un porc porteur d’une souche résistante aux antibiotiques, que ce soit un éleveur ou un vétérinaire, on avait de 60 % à 70 % de risques d’être colonisé par la bactérie. »
– Jan Kluytmans, microbiologiste à l’hôpital de Breda, aux Pays-Bas
Sachant que le porc a un métabolisme très proche de l’humain, difficile de s’imaginer que la propagation de maladies pourrait être différente. Ce que le coronavirus déclenche chez les populations humaines nous donne une idée de ce qui pourrait arriver dans nos élevages. C’est d’ailleurs déjà arrivé: C’est d’ailleurs déjà arrivé: syndrome de dépérissement postsevrage (SDPS), diarrhée épidémique porcine (DEP) et deltacoronavirus porcin (DCVP), sans compter la menace actuelle de peste porcine dont les premiers cas viennent d’apparaître au québec.
La solution? Diminuer la densité des élevages, disperser la production sur le territoire au lieu de la concentrer dans certaines régions, réduire la circulation entre les fermes. Le message est pourtant clair auprès des humains: distanciation et réduction des déplacements. En matière de production animale, nous faisons exactement le contraire…
La dépendance face aux exportations
70% du porc produit au Québec est exporté, grâce au système de subventions comme l’ASRA (déficitaire depuis plus de 10 ans, essentiellement en raison du secteur porcin. Une autre facture de 265 millions en 2018 seulement). En plus de coûter cher au contribuable du Québec et d’avoir soulevé la colère du milieu rural, cette exportation a de nombreux effets néfastes. Nous ne contrôlons pas le marché à l’étranger, ce qui rend ce secteur extrêmement vulnérable. Lorsque les acheteurs asiatiques ont exigé de meilleures conditions d’élevage pour les truies, l’État québécois a allongé environ 100 millions de plus pour modifier les cages. Et chaque fois que la demande mondiale ou le prix faiblit, l’industrie se retourne vers l’État pour une nouvelle compensation financière. En bout de piste, ce porc arrive ensuite à l’étranger à des prix de dumping, nuisant lourdement à la capacité locale de produire la même denrée.
Le blocage de la vente directe
Circuits courts, agriculture de proximité, ça vous dit quelque chose? Tous s’entendent sur le constat que la réduction de l’utilisation du pétrole s’impose. Le discours est sur toutes les lèvres: acheter local. En principe, avec notre système de gestion de l’offre, nous devrions être en mesure de produire les quantités de nourriture pour les besoins de notre population. Et pourtant, bonne chance pour réussir à acheter un poulet, des oeufs ou du lait directement de la ferme au Québec. À moins de détenir un exorbitant quota de production (245$ par poule, 24 000$ par vache, 1850$ par mètre carré pour le poulet), chaque ferme est limitée à 100 poules, 300 poulets et 24 dindons. Pendant ce temps, avec les accords du commerce international, le Canada, et donc le Québec, permet l’arrivage de quantités massives de ces produits de l’étranger mais tolère que les fédérations de l’UPA, par le biais des plans conjoints, interdisent la production locale directement au consommateur. Uniquement en 2017, le Québec a importé 3 millions de douzaines d’oeufs mais nos petites fermes n’ont pas le droit de les produire! Pour la même année, le Québec a dû importer 56 millions d’oeufs d’incubation et 9 millions de poussins, de quoi remplir les élevages de volaille. Le Québec est largement dépendant de l’importation dans ce secteur. Pas très rassurant en cas de fermeture de frontières.
Situation analogue pour le lait, pourtant emblème fort de la gestion de l’offre; le Québec importe environ pour 260 millions de dollars en divers produits laitiers. Tout en interdisant aux fermes d’ici de remplir la commande… Pour avoir le droit de fournir du lait à des voisins, il faut débourser 24 000$ par vache, pour un minimum de 10 vaches, soit 240 000$. Il faut ensuite encore acheter les vaches, les nourrir, acheter la plomberie imposée, le fameux « Bulktank » réfrigéré. Et même là, ce lait devra transiter par le monopole de transport du lait et le fermier producteur ne recevra que le prix du gros et non le prix du détail, à moins de racheter sa propre production. Difficile d’être plus loin de la vente directe souhaitée…
Main-d’oeuvre étrangère
Bon an, mal an, environ 16 000 travailleurs étrangers sont attendus sur les fermes du Québec. L’Union paysanne dénonce les conséquences de la production alimentaire industrialisée et mondialisée: on produit pour l’étranger, on consomme de l’étranger et on fait venir des travailleurs-euses de l’étranger. Alors que la production à plus petite échelle a fait ses preuves de rendement et nourrit actuellement 70% de la population mondiale, le Québec continue de s’enfoncer dans une dépendance aux marchés mondiaux, ce qui compromet sérieusement la souveraineté alimentaire de nos communautés. Il ne s’agit pas ici de dénigrer le travail de ces personnes qui ont quitté leur famille avec l’espoir d’un meilleur revenu, mais il est justement inadmissible que ces gens, alors qu’ils paient impôt et taxes ici, n’aient pas accès à tous les services offerts à la population québécoise et qu’ils doivent choisir entre famille et salaire.
Notre modèle agricole s’avère de plus en plus dépendant de cet apport de main-d’oeuvre étrangère. Le cas du coronavirus met à jour les conséquences d’une telle dépendance. On peut en outre présumer que ces gens préfèreraient travailler dans leur pays, avec leur famille. On peut aussi s’interroger sur les méfaits du commerce international et du dumping sur la structure vivrière de production des pays d’origine de ces personnes.
Comment rendre notre agriculture moins vulnérable
- obtenir le droit de produire
Au-delà des voeux pieux sur l’agriculture de proximité, l’Union paysanne réclame d’abord le droit de produire pour nos communautés, nos familles, nos voisins. Si c’est (encore) possible dans le cas des légumes et des fruits (moyennant le paiement d’une redevance à l’industrie, entre autres pour les pommes, les fraises et les framboises. Incroyable mais vrai), la situation est radicalement différente pour les produits sous gestion de l’offre comme le lait, les oeufs, la volaille et le lapin. L’Union paysanne exige l’application de la loi sur la mise en marché des produits agricoles (art. 63) qui stipule:
Un plan conjoint (incluant les quotas) ne s’applique pas aux ventes faites par un producteur directement à un consommateur.
Selon cette loi, dont l’application est bloquée par la Régie des marchés agricoles sous la pression des fédérations de l’UPA et de l’UPA elle-même, il serait possible de vendre directement dans nos communautés. Cette situation se révèle totalement absurde: La Régie des marchés agricoles, organe public, refuse d’appliquer la loi qui l’encadre et se soumet lamentablement aux demandes des cartels, entravant lourdement la vente directe. Aux frais du contribuable en plus.
- Modifier le financement de l’agriculture
La part du lion en matière de subventions agricoles va à la spécialisation et l’exportation. Les programmes de l’assurance-stabilisation du revenu agricole (ASRA) viennent en aide principalement à la production porcine et aux monocultures associées, comme le maïs, les céréales et le soya. Même la toute récente politique bioalimentaire annonce un accroissement de notre dépendance en matière de production agricole.
- Modifier le régime de gestion de l’offre
Le Québec ne pourra pas longtemps maintenir le système des quotas de production s’il persiste à miser de plus en plus sur l’exportation. On ne peut pas ouvrir et fermer les frontières en même temps. Exporter du lait et vouloir en bloquer l’importation, c’est profondément paradoxal et indéfendable dans le cadre du commerce international. Le système de gestion est avant tout un contrat social entre l’État et le monde agricole. Ce contrat dit essentiellement deux choses: les fermes s’engagent à ne produire que ce qui correspond aux besoins de notre population et l’État s’engage à contrôler les frontières pour éviter que des importations ne viennent nuire à cet équilibre. Le dérapage, c’est d’avoir confié cette gestion à des cartels en situation de conflit d’intérêt. Ceux qui détiennent les quotas défendent leurs acquis et les concentrent. Il n’y a que peu de place pour la relève ou pour de nouveaux arrivants, en plus de concentrer la production dans certaines régions. Une gestion de l’offre réformée et sous le contrôle d’instances plus soucieuses d’autonomie et de souveraineté alimentaire pourrait être un outil formidable pour redynamiser les régions périphériques, la relève, la diversité. Par exemple, chaque fois que la demande pour des oeufs, du poulet ou du lait augmente, du nouveau quota est distribué. Mais cette distribution est faite uniquement aux détenteurs actuels de quota, en proportion de la taille de leur entreprise. Plus la ferme a du quota, plus elle en reçoit. Le système actuel contribue à la concentration des élevages alors que la prudence la plus élémentaire inciterait au contraire. Alors qu’on pourrait facilement attribuer ce nouveau quota à de nouvelles entreprises.
En conclusion, notre agriculture, de plus en plus dépendante du marché mondial, se révèle de moins en moins outillée pour faire face à des situations de crise comme celle du coronavirus. Sans être alarmiste, on peut facilement imaginer qu’en cas de réel effondrement des approvisionnements, le gros bon sens reprendrait ses droits et la population chercherait à s’alimenter directement à la ferme. L’Histoire abonde de cas où la sécurité alimentaire des populations s’est faite grâce à un contact direct entre la terre et la table. Ce sont encore les petites fermes diversifiées qui fournissent 70% de la nourriture mondialement. La bonne nouvelle, c’est que ce n’est pas le bon Dieu qui a mis en place nos politiques d’exportation et de monocultures. Nous pouvons et devons réorienter notre modèle agricole. Espérons que la situation créée par le virus nous incitera collectivement à un changement de cap.
Maxime Laplante, agronome, paysan et président de l’Union paysanne